Sacerdoce et nostalgie

Publié le par Aregundis

Le Figaro dixit : « Confrontée à une chute des entrées dans les séminaires, elle [l’Eglise] lance une campagne appelant les jeunes au sacerdoce […] L'Église de France se libère ainsi d'années de plomb où elle doutait d'elle-même - paralysée par une « théologie de l'enfouissement » visant à gommer toute apparence religieuse extérieure - qu'elle n'osait même plus appeler des jeunes sur cette voie fort exigeante  […] Et des personnalités qui ont refusé il y a vingt ans, seules contre tous, cette théologie sans issue (telles que le cardinal Lustiger pour le diocèse de Paris, Mgr Bagnard à Belley-Ars, Mgr Madec puis Mgr Rey à Fréjus-Toulon) ont aujourd'hui des séminaristes et des prêtres…» (Figaro-Magazine, 10/02/13)
Tout est dit. Au moment d’éditer ce texte, j’apprends la démission du pape. Du bon pape Benoît qui tenta, mais bien en vain, je crois, de ramener les brebis égarées de Vatican II vers l’Eglise de toujours. Nous allons vers un torrent, vers un déluge de commentaires. Il s’en faudra que tous soient objectifs. Je reviendrai là-dessus plus tard.
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J’aime à me souvenir de ce que fut l’Eglise de mon enfance. Je parle ici de l’Eglise encore largement inspirée du rite tridentin jusqu'à la fin des années 60.
Mon église, c’est une église banale, perchée au sommet d’une butte, assise à la place de quelque ruine antique, tour de guet ou temple païen, que semble rappeler le nom de la bourgade qui s’étend à ses pieds : Tourmont, village francomtois endogamique où tout le monde s’appelait Fournier.
Un édifice sans style, d’une laideur attendrissante, entouré – tradition multiséculaire - de son cimetière. Un cimetière pentu. Une bâtisse trapue flanquée d’une tour carrée avec un clocher surmontée d’une croix métallique et son coq. Dans mon souvenir, les tombes sont de simples tumulus que la fuite du temps et l’oubli ont rendu anonymes, des croix plantées de guingois.

Des images du web me montrent aujourd’hui des pierres tombales de facture industrielle moderne, indice certain de l’élévation du niveau de vie à défaut peut-être de celui de la foi. Dernières demeures où reposent sans doute la plupart de ceux ou celles que j’ai connu jadis. L’extérieur des murs semblent avoir été recrépi en rose terre de Sienne. Ce n’est pas du meilleur goût, mais on fait avec ses moyens. Dans mon souvenir le clocher adorné aux angles de quatre clochetons est plus élancé ou bien est-ce que je confonds ? Les clochetons ont disparu. Le clocher est plus trapu, il a dû être refait. Il faudra quand même que j’y revienne un jour pour voir les changements.
La nef  est classiquement séparée en deux travées ; à gauche, côté Evangiles, les hommes ; à droite, côté Epîtres, les femmes. Les femmes dument couvertes, comme le préconise l’Apôtre. En ces temps des années 40, le chœur s’ornait encore de stalles en vieux bois sombre. Celui que nous, les gamins, appelions « Monsieur l’abbé », l’abbé Stéphane qui faisait le cathé, en fait le jeune vicaire du vrai curé dont j’ai oublié le nom, venait parfois ou souvent, j’ai oublié aussi, s’y adosser pendant l’office. Je crois me rappeler les statues de plâtre polychromes, celles qu’on trouvait alors dans toutes les églises avant que les cathos progressistes ne fassent le ménage, la statue du curé d’Ars, celle de Jeanne d’Arc en armure, celle peut-être aussi de sainte Thérèse de Lisieux…
La nef possédait même sa tribune, en arrière du portail au dessus des fonds baptismaux. A l’heure de vêpres, quelques vieux venaient y somnoler pendant que les femmes, en bas, récitaient les litanies des saints, de la Vierge…  Et aussi un harmonium desservi par Albert. Un personnage peu commode. Ce n'était pas fugue et tocata. Albert se contentait de plaquer deux, peut-être même trois accords, toujours les mêmes, pour accompagner les amen et les gloria. Quoi d’autre ? En contrebas du portail un escalier menait (et mène encore) à la cour des l’école des garçons et de la mairie, un autre conduisait à l’école des filles, de l’autre côté.
Telle fut l’église de ma première communion, un Jeudi-Saint de 1943, me semble-t-il – j’avais alors sept ans.

Autre monde et autre église liée à mon enfance, celle du Chambon-Feugerolles – une cité ouvrière dans la vallée de l’Ondaine, entre La Ricamarie et Firminy, fiefs communistes dans les années 50. C’est l’église de ma communion solennelle - j’avais douze ans - et de ma Co
nfirmation, reçue de l’évêque en personne, selon la tradition, l’année suivante. C’est là que je vis pour la première (et dernière fois) un marguillier en grande tenue d’apparat avec une vraie hallebarde !
Ces mots n’ont plus grand sens aujourd’hui. Pour moi, ils sont chargés de la nostalgie d’une époque où toute chose était à sa place, où chaque mot avait un sens et un seul. Je me revoie, brassière brodée au bras gauche, tout ému et pénétré de l’importance de l’instant pendant que la foule entonnait : « Je crois en Toi, mon Dieu, je crois en Toi — Vivant, mystérieux, si près de moi. ». En vérité mon émotion n’était pas que spirituelle, elle tenait aussi à une jeune fille de même âge, toute voilée de blanc, assise du côté où se tenaient les jeunes communiantes. Je savais son nom, Jeannine P… Je la regardais à la dérobée, elle me regardait. Nous nous regardions avec ferveur. Elle fut mon premier amour, muet, extatique, comme je le fus sans doute pour elle. Elle doit être une vieille dame entourée de petits-enfants.

Publié dans L'Eglise

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